«SCAF ou pas SCAF...» : Paris pourrait se retirer du programme européen d'avion du futur
- Jean Dominique Merchet
- il y a 17 heures
- 4 min de lecture
Après Dassault, une source officielle française assure qu'«on a la capacité de faire l'avion tout seul»

#Information « SCAF ou pas SCAF, il n’y a pas de doute que la France disposera d’un avion de combat capable d’assurer la mission de dissuasion nucléaire en 2040. On a la capacité de faire l’avion tout seul, de manière souveraine et dans les temps », assure une source officielle française. Le programme de Système de combat aérien du futur est entré dans une zone de fortes turbulences.
Annoncé le 13 juillet 2017 - il y a déjà plus de huit ans ! - il associe la France, l'Allemagne et l'Espagne. D'importants désaccords se font jour entre ces partenaires, non seulement entre industriels (Dassault-Aviation d'un côté, Airbus-Allemagne et Airbus-Espagne de l'autre), mais également sur les caractéristiques de l'avion, le NGF - Next Generation Fighter, l'un des "piliers" majeurs du programme SCAF. En effet, le SCAF est à la fois un avion, mais aussi un moteur, des armements, des systèmes électroniques, des drones associées et un "cloud de combat" pour la connectivité de l'ensemble.
Mardi, à l'occasion de l'inauguration d'une nouvelle usine à Cergy, le PDG de Dassault-Aviation Eric Trappier n'y est pas allé par quatre chemins pour exprimer sa position : «On peut le faire tout seul de A à Z. Je veux bien que les Allemands grondent. S’ils veulent faire tout seuls, qu’ils fassent tout seuls».
Côté allemand, la pression monte également. Un responsable du Bundestag a ainsi récemment confié au Financial Times : « Mieux vaut une fin dans l’horreur qu’une horreur sans fin. Il y aura un avion de combat avec ou sans la France. » La presse évoque la possibilité de voir l'Allemagne rejoindre le programme concurrent GCAP Tempest. Le GCAP associe déjà le Royaume-Uni, l'Italie et le Japon.
Dassault-Aviation met en cause la gouvernance actuelle du NGF et exige de devenir le véritable maître d'oeuvre. Un récent audit, réalisé par la Combined Project Team, une structure étatique, a provoqué une crise de confiance entre les industriels. Airbus accuse Dassault de vouloir s'attribuer 80% du programme - ce que conteste vivement l'avionneur français, qui insiste sur la gouvernance et met en doute les capacités industrielles allemandes dans le domaine des avions de combat. Des questions de propriété intellectuelle restent non-résolues.
Il y a urgence à sortir de l'impasse actuelle. En effet, la phase 1B du programme arrive à son terme et il faudrait lancer la phase 2 à la fin de l'année, afin de construire un démonstrateur du NGF, peut-être en 2029. Selon les sources officielles françaises, «un chemin possible serait de faire bouger les curseurs entre les différents piliers du programme ». Si la France et Dassault obtient satisfaction sur le pilier NGF, d'autres industriels (Thales, MBDA par exemple) pourraient devoir céder aux demandes allemandes et espagnoles.
Pour les autorités françaises, la question essentielle est désormais celle du calendrier. Or, assurent-elles « l’organisation actuelle ne permet pas de le respecter ». Il faut donc la revoir.
Autre sujet de préoccupation, vu de Paris : la masse de l'avion. L'accord initial portait sur un appareil de quinze tonnes à vide (contre un peu plus de 10 tonnes pour le Rafale). Or, les Allemands voudraient désormais un appareil plus lourd. Pas question pour la France : le NGF doit pouvoir être mis en oeuvre sur le prochain porte-avions - ce qui impose des limites de masse. Et surtout un avion plus lourd exigerait des moteurs plus puissants, qu'il faudra développer. Côté français, on reconnait que l'Allemagne a à la fois "le temps et l'argent pour le faire". Le temps, car developper un nouveau moteur est une prise de risque technique, qui pourrait retarder le programme.
Un programme mal emmanché
#Analyse. Une nouvelle fois, les besoins opérationnels entre la France et l'Allemagne semblent diverger, alors que l'on croyait le problème résolu entre état-majors depuis des années...
La France pourrait-elle se lancer seule dans le développement et la production d'un avion de combat de sixième génération, comme elle l'avait fait, dans les années 80 avec le Rafale ? Les compétences sont là, nul n'en doute. Quant au coût, rien d'indique qu'un programme multinational soit moins cher qu'un projet national, comme la comparaison Rafale/Eurofighter l'a montré. La France veut aussi s'assurer de pouvoir exporter l'avion comme elle l'entend.
Au cas où le programme Scaf serait abandonné, au moins dans sa partie NGF, les sources officielles françaises n'excluent pas de «faire appel à l’expertise industrielle chez nos partenaires » européens, en sous-traitance.
Pour Paris et Dassault, il s'agit notamment de garder l'Espagne à bord - l'Espagne étant le dernier grand pays européen à ne pas être équipé du F-35. D'autres coopérations seraient envisageables, y compris hors d'Europe.
#Opinion Le SCAF, comme son pendant terrestre MGCS, sont des programmes mal emmanchés depuis l'origine. Avant de correspondre à des projets militaires et industriels, ils sont d'abord l'expression d'une volonté purement politique d'afficher une ambition européenne. Sans renoncer à la coopération militaire et industrielle entre Européens, il faut sans doute avoir le courage de renoncer et d'explorer d'autres voies, avec plus de pragmatisme.