top of page

Le choc Mandon : «Accepter de perdre nos enfants» face à la Russie

  • Photo du rédacteur: Jean Dominique Merchet
    Jean Dominique Merchet
  • il y a 3 jours
  • 4 min de lecture

Les propos du chef d'état-major des armées sont une erreur de communication et posent des problèmes de fond.


Les propos du général Fabien Mandon, chef d'état-major des armées (Cema), suscitent une vive émotion. Celle-ci est légitime.

Mardi 18 avril, devant le Congrès des maires de France, le Cema a indiqué que le Russie se préparait «pour 2030» à une «confrontation» avec l'Europe. Estimant que les Européens devraient être «mentalement prêts» à y répondre, il a appelé les maires à «sensibiliser les Français» afin de «favoriser un sursaut national». «On a tout le savoir, toute la force économique et démographique pour dissuader le régime de Moscou. Ce qu'il nous manque, c'est la force d'âme pour accepter de nous faire mal pour protéger ce que l'on est. (...) Si notre pays flanche parce qu'il n'est pas prêt à accepter de perdre ses enfants, de souffrir économiquement parce que les priorités iront à de la production défense, alors on est en risque.« «Nos hommes et nos femmes tiendront s'ils sentent que le pays tient avec eux. Il faut en parler dans vos communes."



Ces propos sont une erreur de communication, dont l'effet est contre-productif. Ils ont immédiatement suscité de nombreuses réactions politiques, en particulier chez les Insoumis et au Rassemblement national. Quasiment aucune grande voix politique ne s'est élévée pour le défendre. Quant aux officiers généraux, qui se sont exprimés dans les médias, ils rament pour justifier cette sortie.


La ministre des Armées Catherine Vautrin a dû voler à son secours sur X: «Le général Mandon répondait à une invitation de longue date du président de l’AMF, David Lisnard. Le CEMA est pleinement légitime à s’exprimer sur les menaces qui continuent de progresser, et il est en effet important que les maires soient sensibilisés au contexte actuel. Ses propos, sortis de leur contexte à des fins politiciennes, relèvent du langage militaire d’un chef qui, chaque jour, sait que de jeunes soldats risquent leur vie pour la Nation. Notre responsabilité est claire : éviter tout affrontement mais nous y préparer, et consolider l’esprit de défense, cette force morale collective sans laquelle aucune nation ne pourrait tenir dans l’épreuve».


Deux voix très respectées dans les milieux de la défense expliquent, pour la première «qu'il a tiré tout seul dans son coin et s'étonne que ça lui saute à la figure. Il va arriver à nous poser un problème». La seconde, «sidérée», juge l'épisode «catastrophique : «Un Cema ne devrait pas dire ça ! Les maires vont rentrer tétanisés... c'est vraiment nul». Un autre interlocuteur trouve cela «stupide sur le fond et intolérable en termes institutionnels».


Une telle adresse d'un chef d'état-major aux maires peut en effet relever d'un mélange des genres. Si l'heure est grave, c'est au président de la République, chef des Armées, ou à la ministre des Armées de venir s'exprimer devant les élus des Français. Les armes le cèdent à la toge. Sinon, le risque est que le chef d'état-major des armées soit perçu comme le porte-parole d'un camp politique contre les autres. La vigueur des réactions des oppositions de droite et de gauche montre que, dans cet épisode, cela a été le cas.


Force est constater que «l'idée d'accepter la perte de nos enfants» contribue à faire peur. Est-ce l'effet recherché ? Si c'est le cas, est-on sûr que la peur est bonne conseillère ?


Son message a été en partie mal compris : une grande partie du public a entendu cela comme un éventuel engagement militaire contre la Russie en soutien à l'Ukraine. Ce n'est pas ce que le Cema a dit, mais il s'est mal fait comprendre par nombre de Français qui ne prêtent pas forcément une oreille attentive à tous les développements des raisonnements que l'on tient en haut lieu.


Loin de moi l'idée de nier la posture agressive de la Russie en Europe. Si les services de renseignement possèdent des informations précises et fiables sur des plans d'attaque russe dans les prochaines années, le mieux serait que le gouvernement les rendent publics. Sinon, comment croire aujourd'hui les mêmes voix qui, à la veille du 24 février 2022, assuraient ne pas croire à une invasion massive de l'Ukraine ?


Je ne crois pas qu'il faille se préparer un «choc» avec la Russie dans les prochaines années, c'est-à-dire faire comme si celui-ci était inéluctableet que la guerre arrivait : il faut au contraire se mettre en position de force pour dissuader la Russie de s'engager dans une telle aventure. Cela passe, évidemment, par un renforcement de nos moyens militaires.


Les propos du Cema sont gênants dans une autre perspective : la guerre, ce n'est pas d'abord «accepter de perdre nos enfants». Ce discours sacrificiel, doloriste, («accepter de nous faire mal») dont la dimension religieuse n'est pas absente, n'est pas un discours de victoire.


Ce que les Français fiers de leur pays ont besoin d'entendre, et nos ennemis encore plus, c'est un discours viril à la Patton. Le célèbre général américain d ela seconde guerre mondiale affirmait ainsi que «the object of war is not to die for your country but to make the other bastard die for his.» «L'objet de la guerre n'est pas de mourir pour son pays, mais de faire en sorte que la bâtard d'en face meurt pour le sien».


Dans un style plus policé, on se souvient que le général Jean-René Bachelet, une figure de l'armée de Terre, qui nourrissait une réflexion sur l'éthique, expliquait naguère que «la spécificité du métier des armes tient en un rapport singulier avec la mort, non pas tant la mort à laquelle le soldat est exposé que celle qu’il peut être conduit à donner». Evoquant le soldat, il parlait dans la revue Inflexions de «la mort qu’il doit infliger, hélas, si nécessaire, et celle qu’il est prêt à recevoir en retour.»


Les armées françaises, qui ont connu de nombreuses défaites au cours de leurs histoire, semblent souvent plus portées à exalter le sacrifice du soldat (Camerone, Bazeilles, Sidi Brahim, Dien Bien Phu...) que la victoire des armes de la France.





 
 
 
bottom of page