«Le sens du commandement», un livre plein de bon sens
- Jean Dominique Merchet

- il y a 4 jours
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Le général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre, publie un ouvrage dans lequel il plaide pour le «commandement par intention» - un changement d'approche nécessaire face aux menaces. Convaincant.

Le livre du général Pierre Schill, chef d'état-major de l'armée de Terre (Cemat), est une heureuse surprise. C'est un ouvrage plein de bon sens, qui est une denrée rare. Le sujet est a priori austère : le commandement. Mais s'il s'adresse en priorité aux militaires et à ceux qui s'intéressent à la chose militaire, son propos a une portée plus générale.
La thèse du livre est qu'il faut préférer le commandement par intention à celui du commandement de détail. Dit autrement : il faut faire confiance à ses subordonnés en leur laissant plus d'autonomie tout en assumant pleinement ses propres responsabilités. C'est, comme le montre le Cemat au travers d'exemples historiques, un gage d'efficacité qui permet de gagner les batailles.
Si Pierre Schill insiste sur la dimension française de cette attitude, de Richelieu lors du siège de la Rochelle au général Lagarde, Cemat en 1978 ("L'initiative au combat est la forme la plus élaborée de la discipline"), on aurait aimé qu'il insiste plus sur l'Auftragstaktik. Développé par l'armée prussienne au XIXe siècle, formalisé par Moltke, c'est la même idée, reprise aujourd'hui dans l'armée américaine sous le nom de mission command
Avec une belle liberté de ton et sans quasiment de langue de bois, le général Schill veut ainsi mettre l'armée de Terre en ordre de bataille, en débureaucratisant la vie de garnison : «Elle est confrontée aux travers inhérents aux administrations, notamment le centralisme, l'inflation normative et la réticence à prendre des risques».
Le Cemat pointe avec une grande justesse le tournant de 2008, avec l'embuscade d'Uzbine en Afghanistan, la RGPP (revue générale des politiques publiques) et le retour dans l'organisation intégrée de l'Otan. «Uzbine a précipité la centralisation de la décision dans un commandement plus précis et directif. Le pouvoir politique a considéré que la sensibilité de l'opinion [à la mort de jeunes soldats] justifiait une plus grande implication de sa part. Les états-majors ont exercé un contrôle accru sur les échelons de terrain qui s'est traduit par deux effets principaux : réduire effectivement les prises de risques et donc les pertes en évaluant depuis Paris l'équilibre entre risque et enjeux, prescrire plus précisément les modalités d'organisation et d'entraînement, réduisant de fait la liberté d'action des chefs sur le terrain.» «L'appréhension au risque», écrit le Cemat, «rend l'audace suspecte».
En créant les «bases de défense», la RGPP a réduit les «prérogatives» des chefs de corps et accéleré la bureaucratisation de la vie de. garnison, de plus en plus différente de celle en opérations.
Quant au retour dans l'Otan, indispensable pour l'interopérabilité avec les alliés, il a «accéléré une évolution vers des fonctionnements plus prescritifs» et une «complexification croissante de l'organisation du commandement».
Conclusion du général Schill : «Un changement d'approche est nécessaire» car «les risques encourus dans les décennies à venir invitent à un sursaut».
En quelques pages, le chef d'état-major de l'armée de Terre décrit avec beaucoup de pertinence et de concision la situation dans laquelle nous sommes : «La guerre demeure un mode assumé de résolution des différents ; la conquête territoriale est un marqueur d'hégémonie ; la paix est garantie par la force ; ce qui est précieux doit être défendue ; les alliances ont indispensables mais ne constituent pas des garanties ; les soldats sont dépositaires de la force armée ; la puissance d'une armée réside dans l'alchimie entre sa masse, sa technologie et son esprit guerrier ; dans une démocratie, une armée vaut par le soutien de la Nation dont elle émane.» Qui dit mieux en aussi peu de mots ?
Au regard de la guerre d'Ukraine, le Cemat constate que «la détention de l'arme nucléaire ne préserve pas du retour à la guerre conventionnelle aéroterrestre.
«La dissuasion demeure la clé de voûte de la défense française, mais un affrontement conventionnel qui s'installerait sous le seuil nucléaire est une éventualité susceptible de tester notre détermination.»
Revenant au «commandement par intention», le Cemat fournit, en un chapitre, un petit manuel de management , dont le monde civil pourrait s'inspirer avec avantage.
Pierre Schill, 58 ans, est le chef d'état-major de l'armée de Terre depuis 2021. Saint-cyrien, fils de général, il est issu de l'infanterie de marine : il a notamment été chef de corps du 3e RIMa. Personnalité discrète, presque timide, il s'est imposé comme un grand Cemat aux idées claires. Son livre en témoigne.
La postface de l'essayiste Gaspard Koenig est rafraichissante. Elle commence par ses mots : «Je suis culturellement antimilitariste, intellectuellement pacifiste et philosophiquement libéral.» Il n'en reste pas séduit par l'approche du général Schill. C'est dire si «Le sens du commandement» est un livre convaincant.
Général Pierre Schill, «Le sens du commandement» Les éditions du Cerf, Octobre 2025, 154 pages, 16,90 euros



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