Bienvenue au général Alfred Dreyfus !
- Jean Dominique Merchet
- il y a 9 heures
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Un loi vient d'élever l'officier victime de l'antisémitisme au grade d'officier général. Une heureuse initiative.

«La Nation française élève, à titre posthume, Alfred Dreyfus au grade de général de brigade». C'est l'unique article d'une proposition de loi adoptée jeudi 7 novembre par le Sénat. L'Assemblée nationale ayant déjà adopté ce texte le 2 juin dernier, il a donc désormais force de loi. Il a été voté à l'unanimité par les deux chambres
Cette réparation symbolique est une initiative parlementaire de l'ancien Premier ministre Gabriel Attal, qui a été reprise au Sénat par le groupe socialiste. On lira avec intérêt les rapports parlementaires du député Charles Sitzenstuhl et du sénateur Rachid Temal, qui font le point sur cette intiative.
Celle-ci remonte à 2019, lorsque la ministre des Armées Florence Parly avait ouvert la porte à cette nomination à titre posthume, lors d'un discours le 21 juillet à l'occasion de la commémoration de la rafle du Vel d'Hiv, comme je le révélais alors. La ministre expliquait alors le sens de sa démarche : «Le capitaine Dreyfus été réhabilité, les Armées l’ont réintégré, promu au grade de lieutenant-colonel: indispensable mais maigre compensation des quatre années passées au bagne de l’île du Diable et des douze années hors des rangs. Lorsque je pense à Alfred Dreyfus, lorsque je lis chaque nom inscrit sur le mur du jardin des enfants du Vél d’Hiv’, la même question revient sans cesse : que seraient-ils devenus si leur avenir ne leur avait pas été arraché ? Quel destin les attendait ? Le véritable courage, c’est celui de la vérité. 120 ans après le procès de Rennes, les Armées doivent regarder leur histoire en face. 120 ans plus tard, il est encore temps que les Armées redonnent à Alfred Dreyfus tout l’honneur et toutes les années qu’on lui a ôtés.»
Il a donc fallu attendre plus de six ans pour que ce projet trouve enfin une traduction concrète. Je peux témoigner qu'elle n'a pas suscité l'enthousiasme de la haute hiérarchie militaire, qui a tenté d'enterrer cette initiative. L'Elysée n'y était pas très favorable non plus, le président Macron allumant un contre-feu, en annonçant, le 12 juillet dernier, que cette date serait désormais «la journée nationale de commémoration de l’affaire Dreyfus et de la réhabilitation d’Alfred Dreyfus». Las ! Les parlementaires ont eu le dernier mot, avec le soutien de la famille Dreyfus, du grand rabbin Haim Korsia, de Pierre Moscovici, de Louis Gautier, de Fréderic Salat-Baroux ou de Vincent Duclert.
Le 15 octobre 1894, le capitaine Dreyfus est arrêté pour espionnage au profit de l’Allemagne. Sur la base d’accusations fausses, il est condamné, dégradé puis envoyé au bagne en Guyane où il restera du 12 mars 1895 au 9 juin 1899.
Le «capitaine» Dreyfus, comme on l'appelle de manière traditionnelle, était en réalité lieutenant-colonel quand il a quitte le service des armes en février 1919. Remobilisé en août 1914 au grade de commandant, il a servi principalement à l'arrière du front occidental, notamment à l'état-major de l'artillerie du camp retranché de Paris, puis au parc d'artillerie de la 168e division d'infanterie. Il a toutefois accompli des missions en première ligne en 1917, notamment à Verdun et sur le Chemin des Dames. Pour ses services, il a été promu, le 11 juillet 1918, lieutenant-colonel du cadre de réserve.
En 1998, sous le gouvernement Jospin, une plaque en l’honneur de Dreyfus avait été installée à l’Ecole militaire, suscitant alors des critiques dans la communauté militaire. Puis en 2006, le président Chirac lui avait rendu hommage sur les lieux mêmes où le capitaine Dreyfus avait été dégradé. Dans les années, une statue de Dreyfus, réalisée par l'artiste Tim, aurait dû être installée à l'Ecole militaire : elle n'a jamais pu l'être et on peut la voir à l'angle de la rue Notre-Dame-des-Champs et du boulevard Raspail (Paris, 6e).